Les apparences. Le secret de ce métier, de cette vie. C'est capital, nécessaire pour s'élever. Jaejoon l'a compris depuis bien longtemps. Probablement depuis qu'il est né. Lui, le bâtard, l'enfant de celle qu'on a un jour appelée une pute. Elle n'était que bonne. Pas assez bien pour être épousée. Juste un petit coup comme ça, pour se vider, se faire croire qu'on est vivant. Les apparences et leur importance, tout ça ancré dans son ADN. Il ne fallait pas savoir que le si digne monsieur avait trompé sa femme et avait mise en cloque la bonne. Ah non. Pour l'amour des apparences, non. Il fallait protéger cette image parfaite, cette façade sans aucun éclat.

Le jeu des images, des illusions était banal dans ce monde. Jaejoon s'y prêterait ce soir. Avec elle, son apparence, sa devanture. Ce n'était pas la plus jeune, ni la plus belle mais c'était la plus riche. Celle qu'il pourrait transformer en une arme, un moyen pour détruire, mettre cette famille à feu et à sang. Il allait tout leur prendre, grâce à elle. Sauf qu'elle ignorait tout. Ne voyait en lui que ce jeune homme qu'elle veut qualifier d'amoureux, cet époux qu'elle croit réel, honnête dans ses sentiments alors qu'il n'en est rien. Il lui ment, sans scrupule. Et une partie de lui se déteste parce qu'il lui fera du mal. Pourtant, l'autre l'emporte. Elle lui dit que c'est pour réparer, rétablir l'ordre et venger l'innocente, celle qu'ils ont fait crever comme une merde : sa mère.

Il sort de la douche. Le corps mouillé, les cheveux humides. Des gouttes s'échappent sur le sol. Il va enfiler son masque, celui des soirées mondaines. Jaejoon finit de se préparer puis enfile ce costume. Il est de circonstance, il faut montrer qu'on a de l'argent. C'est une des règles du jeu. Elle termine de se vêtir, enfilant la dernière perle de sa parure. Elle est son passe-partout. Son entrée gratuite chez les milliardaires. Ils quittent ensuite la maison pour le lieu de réception. Leur arrivée est remarquée. Elle est connue. Pour sa fortune, son entreprise et surtout pour l'homme qui est à son bras. Jaejoon a l'âge de Sarang, son fils. Ça a choqué, fait parler. Mais Jaejoon s'en fout. Elle ou une autre, peu importe qui est à son bras. Tant qu'il peut se servir de cette personne, il est prêt à tout. Ils arrivent finalement dans la salle. Remplie, bondée. Des femmes vêtues de robes somptueuses, hommes au costume parfaitement repassé. Le bal des apparences. Ça commence.

Ils passent de personne en personne, parlant deux minutes. Jaejoon écoute, silencieux, la regarde faire. Il ne retient que le nom des gens qui l'intéressent. Les autres ne lui serviront pas. Sauf que l'ennui se fait sentir. Ses yeux se perdent dans la salle, voguent et regrettent. Dès qu'ils croisent le monstre et ses disciples. Leurs regards se rencontrent. Jaejoon ne baissera pas les yeux. Il le tuera du regard avant qu'il ne le réalise. Voyant la haine en son fils, il détourne la tête et c'est probablement mieux comme ça. Qu'il l'évite, Jaejoon l'affrontera sans aucune crainte. Un lâche. Voilà ce qu'il est. Et elle, qui se pavane à ses côtés, regarde Jaejoon. Ses yeux sont aussi noirs que ceux du bâtard. Elle l'a toujours détesté. Lui s'en foutait. Elle n'est et n'était qu'une épouse soumise, cocufiée glorieusement. Jaejoon aurait pu l'affaiblir si facilement s'il l'avait voulu. Mais il ne l'a pas fait, qu'elle s'en souvienne.

Dégoûté par leurs portraits, visages, Jaejoon murmure à sa femme qu'il doit s'éclipser. Un prétexte bidon et le tour est joué. Elle l'aime tellement qu'elle lui laisserait faire n'importe quoi. Jaejoon se retrouve finalement vers la table avec les verres de champagne. Le rêve. Sauf qu'il doit attendre la fin de la danse pour se servir. Putain, ça fait chier. Ses yeux scrutent la salle, attendent le signal. L'ouverture de l'anti-ennui, le bar. Il observe les couples, retrouve son géniteur et sa guenon. Il souffle. Il les hait. Mais ça se finit, le bruit des flûtes le sort de sa rêverie. Il s'autorise alors à attraper une coupe de nectare et là, il le voit. L'entend. Cet homme, à côté de lui. Jaejoon le salue à son tour. Sourit à ses paroles. « Pour sûr. Impossible de s'ennuyer. Vous valsiez très bien avec votre … femme ? »

Les paroles résonnent dans sa tête. L'ironie des mots. Impossible de s'ennuyer. N'importe quoi. Ici, chaque mot, chaque geste, chaque putain d'objet semblait fait pour qu'on s'ennuie. Les mêmes visages, têtes, attitudes. Des clones, voilà ce qu'ils étaient. Jaejoon n'était pas là par plaisir. C'était une chose certaine. Il aurait préféré rester chez lui. Regarder un film, un porno ou d'action, peu importe. Boire une bière ou n'importe quoi d'autre. Tout mais pas cette mascarade ridicule. Pourtant, Jaejoon va contre ses désirs ou suit les pires. Celui de la vengeance. Cette idée qui l'assombrit un peu plus chaque jour, le tourmente depuis des années. Il veut les faire souffrir. Payer. C'est tout ce qui importe pour lui, le reste, ce n'est rien. Il peut tout endurer pour lui rendre justice, sauver l'honneur dont ils l'ont dépouillée. Une soirée comme celle-ci, c'est finalement peu. Même si quand on y est, c'est le pire. Mais Jaejoon sait que c'est nécessaire. Il doit être là. Faire bonne figure. Observer l'ennemi. Polir ses armes, en trouver des nouvelles. Alors il prend sur lui. Sourit poliment, parle, lance des banalités qui intéressent, charme quand c'est nécessaire. Il fait ce qu'il faut.

Jaejoon plonge le regard dans sa flûte. Les bulles, la sensation d'être ailleurs. Ça arrivera lorsqu'il trempera ses lèvres dedans. Mais il est en pleine conversation. Femme. Oui, l'autre avait valsé avec une femme. Probablement la sienne. Du moins, c'est que Jaejoon avait supposé en voyant sa prise sur elle. Étrangement serrée, comme s'il ne voulait pas la laisser s'échapper. Il lui répond après avoir fait un tour d'horizon dans la salle. Mauvaise pioche. Fiancée. Il avait encore le temps de courir, d'en choisir une autre. Jaejoon lui était déjà enchaîné. Sauf que sa proie avait assez pour le faire rester : l'argent, les contacts, le coeur à sa merci. Tout était parfait pour qu'il orchestre sa vengeance d'une main de maître. « Fiancée ? Vous en avez de la chance. Elle a l'air très charmante. » et bien docile. Mais il garderait cette remarque pour lui. « C'est vous qui avez fait le premier pas ? Coup de foudre ? Demande t-il, un sourire d'occasion sur les lèvres. » Jaejoon savait que certaines femmes n'étaient pas attirantes pour leur personnalité mais bien pour leurs autres atouts. Il l'avait réalisé mieux que quiconque. Les yeux de Jaejoon s'éloignent de la coupe de champagne pour se focaliser sur son interlocuteur. Il croit se voir lorsqu'il pose les yeux sur lui. Cet homme-là pourrait être son sosie. Des cheveux noirs, des yeux tout aussi percutants. Il semble habité de la même expression. C'est un terrain à explorer. « Je suis aussi accompagné. » Jaejoon emmène son regard vers l'anneau qu'il porte au doigt. L'anneau de l'enchaînement. Prisonnier ou presque. « Ma femme est là-bas. C'est celle en robe beige. » Ouais, la femme d'au moins 50 ans, celle-ci. Il revient vers l'inconnu. Observant chaque détail de sa personne. Il sent quelque chose, il y a un truc.

Jaejoon fait souvent confiance à son instinct et là, il lui dit que ce gars n'est pas si net qu'il en a l'air. C'est quelqu'un comme lui. Enfin, c'est ce qu'il va vérifier. « On pourrait peut-être aller parler dans un endroit plus tranquille ? » Suggestion. Invitation. « Je commence à avoir du mal avec l'atmosphère. Elle est comme...étouffante. » Un sourire s'étend sur ses lèvres. Etouffante, oui c'est le mot. Surtout quand on peut compter autant d'ennemis au mètre carré. Vraiment étouffant. Il le regarde, attend une réponse. Et ce qui est étrange, c'est qu'il ne peut s'empêcher de se voir en lui. Est-ce que le vieil enfoiré aurait engendré un autre bâtard ? Tout est possible. La coïncidence serait ironique. Sauf que quand il baisait ses maîtresses, il ne pensait pas à ça. Aux conséquences. Jaejoon est une conséquence. Mais il compte bien être une conséquence que l'enfoiré regrettera.