« Qui es-tu aujourd’hui ? » Si la reine de Blanche-Neige demandait à son miroir qui était la plus belle chaque matin, toi tu t’interroges sur ton identité chaque fois que ton regard croise une glace. Tu vois les traits de cette jeune fille qui te regarde et tu ne t’y reconnais pas. Pourtant, tu sais que c’est toi.

Tu es impulsivité, ton identité change au fil de tes envies. Un jour tu rêves de t’envoler au volant d’un Mercedes alors que le lendemain, tu ne souhaites qu’oublier ton humanité. Tu es un esprit libre qui n’accepte les règles de personne. Tu es libre des chaînes qui lient tes semblables. Tu te fous complètement de ce que les autres peuvent penser, tout ce qui t’intéresse, c’est de te laisser aller à la vie, de suivre tes pas afin de voir où ils te mèneront. Tu vis au jour le jour, écoutant ton cœur chaque seconde et changeant ton itinéraire au fur et à mesure. Si tu prends plaisir à prévoir le futur des autres, tu préfères être sourde et aveugle face au tien. Ta vie sur la rue c’est ton utopie, tu n’es pas prête à t’en délaisser. Jamais tu n’as vécu une telle liberté. Fuir ta vie, tes amis, tes parents, ton existence entière a été la meilleure décision que tu as pris, si on te le demande.

C’est au cœur d’une famille aimante que tu es venue au monde en plein mardi. Tes petits cris déchirèrent la nuit alors que tes poumons se remplissaient d’air pour la première fois, alors que tes parents se promettaient de t’offrir une vie parfaite, une vie digne de l’être que tu étais. Au fil des ans, ils t’offrirent tout ce que tu voulais. Tu aimais la nouvelle Barbie ? quelques jours plus tard tu la recevais envelopper dans un papier multicolore. Tu étais une princesse et Incheon était ton royaume. La vie était facile, tu souriais à tes parents, tu leur racontais ce que tu avais pris à l’école aujourd’hui comme si c’était la plus belle chose qui t’était arrivée. Tu mentionnais subtilement le fait que les parents de ton amie lui avaient le tout dernier Samsung, avant de leur raconter les derniers potins. Ils riaient, ils souriaient, heureux que tu sois heureuse. Ils resplendissaient la joie à un tel point que tu en étais venue à cacher tes incertitudes, ce nœud au fond de ton ventre qui ne faisait que grandir de jour en jour.  Lorsque que ça allait bien, tu arrivais même à te convaincre que cette joie, cette fierté qu’ils vivaient, tu la partageais. Aujourd’hui, tu sais que ce n’était pas le cas, que tout ce que tu ressentais était une émotion miroir à la leur, un simple artifice de plus pour te garder prisonnière de tes chaines en or. Tu en t’attends pas à ce que les gens comprennent, toi-même tu ne comprends pas réellement d’où provient ton dégoût. Tout ce que tu sais, c’est que plus les jours passaient, plus tu étouffais, tu suffoquais. Cette vie n’était pas pour toi, tu le sentais jusqu’au plus profond de ton âme, chaque fibre de ton être criant, priant pour être délivré de ta routine. Et alors que tu te perdais lentement, faisant passer les envies des autres avant les tiennes, tes parents parlaient d’université, d’examen. Ils te rappelaient que tu devais travailler fort, étudier autant que possible. Ils te faisaient miroiter un futur stable, l’idéal de tant de gens en Corée du sud. Tu allais avoir de bonnes notes, entrer dans une des meilleures universités de Séoul et ton succès était garanti. Tu n’aurais aucun mal à trouver un emploi de bureau dans une bonne compagnie. Des horaires de 9h à 5h, un petit ami plus riche et plus éduqués, la joie de la maternité, les enfants, etc. Ces mots qui sonnaient comme un rêve parfait aux oreilles de certains te hantaient tous les soirs alors que tu étais assise à ton bureau de travail dans ta chambre. Tu voyais ta vie défilée devant toi, fade et routinière. Tu en perdais le sommeil à t’arracher les cheveux, prise entre cette envie de tout abandonner et ce besoin de rendre tes parents fiers. Tu finis par craquer. Quelque chose en toi brisa et ce fût la fin du cauchemar. Par la même occasion, ce fût la fin de l’existence connue sous le nom de No Delilah.

Au beau milieu de la nuit, un sac sur les épaules, tu as laissé derrière toi tout ce qui t’étais connu. Ton passé, ton histoire, tout ce qui rimait avec fade. Un autobus t’emmena jusqu’à la capitale de Séoul où tu élu domicile sur ses rues. Cela fait dix saisons que tu vois la vie passée sur les bancs de parc, que tu vois les gens se précipiter, vacant à leur routine, trop occupé pour profiter de la vie et voir les nuances du monde. La vie n’est pas toujours facile, il y a des hauts et des bas, mais tu n’as pas regretté un seul moment ce moment fatidique où tu as cesser d'exister pour les autres, et où tu as choisi de vivre.