Le dernier rendez-vous de ce soir s'en va après mes dernières recommandations et une contre-visite de prévue la semaine suivante. Je suis plutôt content de moi pour celui-ci, le dégradé demandé a été réalisé à la perfection et le rendu est absolument magnifique. Bien sûr il va falloir attendre qu'il cicatrise pour l'apprécier à sa juste valeur mais tout de même, je sais d'avance qu'il sera réussi. Je hoche la tête dans le silence ambiant du salon, comme pour reconnaître mon propre travail. J'en ai passé des heures sur celui-ci, autant dans le dessin, pour répondre parfaitement au souhait du client, que dans la réalisation et l'encrage même. Ca fait plaisir de voir que j'ai tant progressé, que je progresse tous les jours, encore et encore.

Un soupir satisfait m'échappe et je me décide à fermer la boutique. C'est bientôt l'heure de fermeture de toute façon et je n'ai plus personne à voir en cette fin d'après-midi. Je retourne ranger la pièce de travail derrière et tout mettre en route pour la journée de demain ; faire le ménage chez moi, je ne sais pas faire mais au studio de tattoo, pas question d'avoir des problèmes avec l'hygiène. Les conditions d'exercices sont déjà assez lamentables comme ça pour en plus risquer de se retrouver avec des poursuites pour infection ou matériel non conforme.

Je me fais couler un café une fois que tout est fini. Mes doigts me démangent, il faut que je fasse quelque chose. Un vague sourire apparaît sur mes lèvres. J'ai peut-être une idée mais pour ça, il faut que je vérifie si ça peut le faire aujourd'hui. Je sors mon portable de ma poche et envoie un message à la principale concernée. hey, c'est moi. tu aurais du temps à me consacrer là, tout de suite ? Je ne perds pas de temps à tourner autour du pot, ce n'est pas mon genre. Je vais ouvrir l'emploi du temps de demain pour vérifier ce qui m'attend comme journée et la réponse arrive en plein milieu de ma lecture. Je hoche à nouveau la tête pour moi tout seul, satisfait, et lui précise en réponse que je suis au studio, que je l'attends, qu'elle n'a qu'à me biper quand elle est là pour que je lui ouvre la porte.

Je prends la direction du bureau cette fois, espace privé du studio, prévu pour moi et mon collègue seulement. Un bureau, un frigo, un grand canapé et quelques étagères de livres et de revues sur le tatouage. Me servant une tasse de café, j'en bois quelques gorgées et la pose à coté de moi avant de me replonger dans le dessin d'une orchidée pour une cliente. Concentré, mes cheveux me retombent dans les yeux et j'en oublie mon café qui trône sur le bureau à côté de mes crayonnés. Je ne suis pas tout à fait satisfait de la tige et me replonge dans le travail jusqu'à ce que Willow arrive.

Pour une fois dans ma vie, je me trouve responsable. Je me suis levée à l’heure et je me suis rendu en cours sans aucun mal, alors qu’à la normale, je peine à ouvrir les yeux lorsque mon cadran sonne. Je finis souvent par me rendormir et manquer mes cours du matin. C’est pourtant à jeun que je me retrouve en classe, un cahier ouvert et je prends des notes. Ce n’est pas comme si j’en avais vraiment de besoin, puisque j’assimile rapidement les notions, mais comme j’ai manqué plusieurs des classes, je préfère me montrer à mon affaire et faire croire que le cours est plus passionnant qu’il ne l’est vraiment. Le début de la journée se passe sans heurt quelconque. Je retrouve une amie sur l’heure du repas, en profitant pour me mettre à jour sur ce que j’ai manqué la semaine dernière, prétextant avoir été malade. Le cours de l’après-midi se déroule encore mieux que celui du matin et je m’empresse de retourner à la maison lorsque le professeur termine son charabia.

Je m’installe sur mon lit, ouvre mes livres et sors un crayon, commençant les devoirs qui sont à rendre la semaine prochaine. Il ne faut d’ailleurs pas de temps avant que je sois dérangée par la vibration de mon portable. Automatiquement, mon visage s’illumine et je tape sur l’écran pour répondre au principal intéressé. D’un bond, je sors de mon lit et ouvre ma penderie, me dépouillant des vêtements je portais alors. Depuis combien de temps je le connais? Très peu. Et pourtant, je me sens si bien en sa présence. Sa passion pour le dessin et sa facilité à me rassurer me met à l’aise en un instant, c’est pourquoi j’ai si facilement accepté d’être son modèle. Et c’est pourquoi je choisis cette tenue en particulier pour notre entretient d’aujourd’hui. Je passe un long manteau par-dessus mon habillement et je suis prête à sortir.

Peu de temps, c’est ce que je me souviens. Il me faut peu de temps pour arriver à son salon et je sonne dès que j’en ai la chance. Mes talons martèlent le bitume alors que je trépigne sur place, le froid de l’automne approchant se faisant ressentir de plus en plus. La porte s’ouvre et je pose mes yeux sur le visage de Nao, esquissant un doux sourire. « T’ai-je fait attendre? » J’espère presque qu’il me dise oui pour que je lui en doive une et pouvoir savoir ce qu’il me demandera. Je m’empresse toutefois de filer à l’intérieur, profitant de la chaleur ambiante pour me réchauffer. Ce n’est pas la première fois que je viens à son salon. J’y étais d’abord venue pour une consultation, puis maintenant pour poser. Je me retourne lentement pour me retrouver face à Nao, ce dernier faisant au moins une tête, sinon plus, que moi. Mes doigts se tendent, caressant distraitement le tissu de son haut. « Tu as déjà ton idée en tête ou j’improvise la pose? » Je préfères demander avant de m’installer. De toute façon, je suis toujours les indications de l’artiste avant de faire quoi que ce soit. L’œuvre doit être impeccable.

Mon café est définitivement froid désormais mais je ne m'en rends pas compte, toujours concentré sur mes rendus de dessins. Plusieurs essais trônent devant moi sur le bureau, tous empreints d'un même style, le mien, et pourtant différents les uns des autres.
J'ai presque fini mon troisième crayonné quand je me fais tirer de mes pensées par un bruit qui m'est devenu familier. Il me faut abandonner mon travail pendant un instant pour passer à l'avant de la boutique. Le rideau de la porte me dévoile celle que j'attendais et un regard à l'horloge suspendue au mur du studio m'indique qu'elle a effectivement été rapide. J'ouvre finalement la porte et la laisse pénétrer dans la pièce, le bruit de ses talons résonnant dans le silence ambiant. Mes mains ferment la porte et enclenchent le verrou d'un geste devenu automatique par répétition, mes yeux suivant ses mouvements. « Au sens propre du terme, oui, tu m'as fait attendre. »  Elle ne peut pas trouver quelque chose à redire à cela, tout est vrai mais en soi, je dois dire qu'elle a fait plutôt vite et que je n'ai pas eu le temps de m'ennuyer un instant.

Je la vois s'éloigner et prendre la direction de l'arrière boutique et la suis sans attendre, marchant dans ses pas, mon regard attaché à sa silhouette encore cachée par le manteau mais que je devine avec aisance. Je lui laisse la liberté de ce qu'elle porte. Je n'ai jamais de doute sur le fait que les vêtements choisis la mettent en valeur ; c'est là le désir de tout un chacun d'apparaître sous son meilleur jour, encore plus si l'on est destiné à être immortalisé, à se laisser coucher sur papier. Elle sait mon attirance pour son physique, ma quasi obsession pour ses courbes que je trouve d'une sensualité exquise.

La belle se retourne une fois arrivée et mes jambes plus longues que les siennes m'ont permis de combler la distance entre nous, nous laissant ainsi juste l'un en face de l'autre. Je dois baisser les yeux pour croiser les siens et sa main me distrait légèrement avant que je ne prenne le temps de lui répondre. « Tu as carte blanche. » Il est temps d'essayer autre chose, d'essayer de faire ressortir sa spontanéité à travers mon crayonné. J'ai pu voir qu'elle maîtrisait son corps, qu'elle savait en jouer aux précédentes séances, et je lui fais entièrement confiance pour me fasciner ce soir encore. Mes mains se posent sur ses hanches au dessus de son manteau et je la pousse un peu plus dans la pièce pour pouvoir fermer la porte derrière nous deux. Je me glisse alors derrière elle et pose mes mains sur ses épaules cette fois, prêt à enlever son manteau. « Tu veux commencer tout de suite ? »

Je suis généralement assez rapide. Mais faire patienter les gens, parfois, ça m’arrange, ou plutôt, ça m’amuse. J’aime pousser les gens à bout, voir jusqu’où je peux les mener et arriver en retard, sans le mentionner, ça m’arrive parfois. Pourtant, avec Nao, je ressens toujours cet empressement. Cette envie maladive de le rejoindre le plus rapidement possible, sans traîner. De recevoir ses compliments, les coucher sur mon âme et m’en souvenir, me les répéter encore et encore. J’aime recevoir son attention et je ne me l’avoue que partiellement.

Tu as carte blanche. Délicatement, ma langue glisse le long de ma lèvre inférieure alors que je soutiens le regard de mon aîné. Ces paroles me réjouissent. Il me donne souvent des directives, me demande une position en particulier et jamais je ne m’oppose à ses indications. Il est l’artiste, après tout. Qu’il me donne ainsi tout le loisir de m’installer, qu’il me fasse confiance pour cette séance, ça flatte mon égo. Ses mains sur mes hanches m’arrachent un frisson et je tourne sur moi-même pour balayer la pièce du regard. Le jeune homme repose ses mains contre mes épaules et j’esquisse un doux sourire, tournant la tête pour le regarder par-dessus mon épaule. « Si tu es prêt, je le suis. » Je prends cette approche pour un oui et m’avance, le manteau restant entre les doigts de mon hôte, révélant ainsi la tenue que j’avais choisie pour lui.

Ça aurait été mentir que de dire que je ne cherchais pas à lui plaire. Son regard sur moi, sur mon corps, c’était valorisant. Je recherchais son attention, son approbation, peut-être. Cette idée de me sentir regardée, appréciée. Un concept qui m’était encore étranger et qui, pourtant, m’attirait énormément. Lentement, j’avance, le bout de mes doigts se posant sur le canapé non loin de nous. Je bifurque toutefois, changeant d’avis après avoir contemplé le confort du cuir. Mes mains se posent sur la table de travail du tatoueur et, avec grande délicatesse, je monte sur ce dernier, prenant grand soin de ne bouger aucun des accessoires se trouvant sur la surface. Je m’allonge sur le dos du mieux que je le peux, tirant le cahier ainsi que le crayon qui se trouvait sous mon dos pour le glisser sur mon ventre. Mes prunelles cherchent les siennes jusqu’à les trouver, un sourire en coin ornant mon visage. « Tu veux commencer tout de suite? » Je lui retourne sa question, comme si je voulais l’affronter. Mes doigts quittent le carnet pour remonter le long de mon ventre, frôlant ma poitrine jusqu’à se loger dans ma chevelure. C’est un affront direct, une provocation pure et dure. Et ce petit jeu me plait plus qu’il ne le faudrait.