Et s'il fallait décrire Mihi sans mettre de côté les nuances qui colorent son personnage atypique, les indexes deviendraient trop longs et la police de caractère trop petite. Petite est un mot qui sied à l'enfant, ils aiment bien l'interpeler, petite. Pourtant, c'est sans compter son coeur immense, ses mots bruyant qui résonnent dans un vide qui jamais ne l'écoute. Puisque la
candeur n'affecte pas les autres, elle hurle au vent ses secrets et refuse qu'on ébranle cette
innocence dont elle s'enveloppe trop souvent.
Et s'il fallait dresser une liste des qualités, puis des défauts, il faudrait des tas d'étoiles expliquant les paradoxes et redondances qui reviennent sans cesse à travers des adjectifs qu'elle n'assimile qu'à moitié.
A S P E R G E R SYNDROM
Elle crie parfois trop fort, elle parle parfois trop doucement, absence de charisme, bonnet d'âne, au ralenti son cerveau lorsqu'on parle de ces choses dont elle n'a que faire. Elle s'ennuie trop souvent dans ce monde trop réel. Elle n'a pas l'esprit aiguisé, ses sens s'adaptent mal au jour et se fondent avec grâce dans l'obscurité nocturne. Gamine indésirée, elle a toujours refusé de constater que ses parents n'ont d'yeux que pour ses frères et soeurs qui les rendent fiers alors qu'elle représente la honte d'une famille trop posh pour assumer son existence. Pourtant, elle aime sans compter, Mihi. Elle aime grossièrement, sans faire de différence. Sinon, elle parlerait des affections particulièrement fortes, comme un concept tout autre qui transcende l'amour.
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Personne ne comprend comment la gamine parvient à décortiquer les équations les plus complexes tout en ignoratn les formules qui font avancer la vie en société. Sans cesse, il lui faudra expliquer que les chiffres à la craie sur son tableau préféré se dessinent aisément contrairement aux gens qui, eux, sont courbes et sans valeur fixe. Et le monde n'a pas la forme régulière qu'il prétend avoir bien que ses couleurs multiples l'intéressent et l'intriguent.
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Ayant vécu un traumatisme, elle refuse qu'on l'effleure trop intimement et ne sera pas initiatrice si la confiance ne règne pas.
Il n'est cependant pas dure tâche d'amadouer la gamine qui se laisse bercer par des mots prometteurs assez facilement. Elle boira, elle fumera, elle sautera le mur au risque de se briser une jambe, elle plongera dans l'eau gelée, elle criera à en crever ses poumons et goûtera à cette vie qu'on lui promet meilleure.
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Et puisqu'elle ne sait jamais ce qu'elle fera demain, elle retombera sans cesse dans ces pièges venimeux qui font battre son coeur plus vite, qui lui donne cette impression peu banale d'être de ceux, d'être vivante, d'être différente à la manière d'autre.
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naive, idéaliste, impulsive, influencable, imprévisible, douce, loyale, hésitante. “ et j'aime la nuit écouter les étoiles. C'est comme cinq cents millions de grelots. ”
Onze ans et elle gardait ses larmes dans ses yeux brillants, jusqu'au bout du monde elle irait pour faire plaisir à sa famille, et s'il faut qu'on l'éloigne, monstre de foire, elle s'éloignera autant qu'il le faudra. Onze ans et on arrache les dessins sur les murs de la maison. Onze ans et on efface son existance des mémoires des voisins et amis et on repart à zéro avec une portée d'enfants exemplaires que l'on jalouserait à jamais.
Puis au loin la gamine se tire, une balle dans le creux de son espalde, les larmes qu'on lui rendra jamais, les larmes qu'on lui grave sur les joues à jamais. Puis elle ne sait pas quand est ce qu'elle reverra sa Séoul natale, trop occupés tous à vérifier qu'elle s'en irait très vite ils ont oublié de lui expliquer combien de temps elle resterait loin des êtres auxquels elle accorde son aveugle confiance.
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Il y a eu les jours gris desquels elle ne voyait que son ombre longer les murs sales de cet endroit lointain. Ceux durant lesquels elle priait pour que personne ne soit à la maison. Ceux durant lesquels elle priait la nuit pour s'endormir paisiblement, sans que le cauchemar devenu routine ne vienne l'arracher de ses songes d'enfant. Ces jours de pleurs où l'abandon se faisait ressentir, où la solitude rongeait ses entrailles. Puis il y a eu les jours roses où l'on proposait des activités; il y avait le
penpal corner où l'on écrivait sur du papier à lettre beige des caractères coréens ou japonais pour parler de sa journée. Puis on ne savait pas où allait ces lettres exactement. Mais on y recevait toujours une réponse la semaine d'après. Mihi correspondait avec Sana. Et Sana écrivait parfois avec des caractères japonais, ce qui destabilisait toujours Mihi. Elles échangeaient tout le temps, parlaient de leurs repas préférés, s'inventaient des équations et, souvent, Sana expliquait à Mihi qu'au japon elle n'aime pas le monde qui l'entoure. Puis Mihi répondait que sa famille lui manquait, à elle. Qu'elle échangerait tout ce qu'elle possède pour retourner vivre tout près d'eux. Dans une lettre trop longue elle expliquait les membres de sa famille à Sana. Il lui avait fallu plus de temps pour écrire cette lettre que toutes les autres et elle était de loin sa préférée. Sana aussi, elle était devenue sa préférée.
Mihi fut triste lorsque les lettres s'arrêtèrent. C'était à la veille de sa libération. Juste avant que le supplice ne cesse, juste avant qu'on ne délie le carcan autour de son cou. Et sur son corps immaculé, elle avait toujours les marques carmines d'un amour mensonger qu'on lui avait inculqué de force. N'aimes-tu pas ton oncle, douce Mihi? Sa conscience lui sussurait des mots confus. Aimait-elle au point de laisser l'inconfortable toucher se glisser entre ses cuisses tremblantes ? Aimait-elle au point de laisser tomber la barrère couvrant son intimité ? Son oncle ne devrait-il pas n'être que son oncle et non son amant ? Ne devrait-elle pas avoir le droit de choisir ses amants ? Il ne lui semblait pas vouloir de tout cela. Il ne lui semblait jamais avoir voulu qu'on écrase ses seins naissant entre les doigts grossiers à l'aube de ses douze ans. Étouffer ses cris n'avait pas suffi à étouffer les cris plaintifs de son âme ébranlée.
Désormais ses peines ne seraient qu'un cri silencieux contre un mur invisible.
Et Sana lui manquait terriblement.
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S'accumulent les journées dépourvues de sens et, enfermées dans sa chambre, Mihi trace à la craie des équations sans fin aux chiffres infinis. Elle n'a pas faim. Elle n'a pas sommeil. De retour dans cette réalité qu'on lui a interdite toutes ces années, le choc fait écho contre les murs de sa chambre sombre. Elle ne regarde plus les étoiles et se contente de les résoudre, ces équations. Elle les résout très vite, trop vite. Une chaîne de télévision est invitée dans sa chambre, on la filme pendant une journée entière. Ses chiffres son fascinants, gamine-monstre au sourire éteint, la caméra fige ses traits noircis par une dépressionqui frappe trop tard sur la gosse perdue. Dans ses draps elle fait la morte et elle rêve d'être morte. Lorsqu'elle recherche un peu d'affection, c'est froidement qu'on lui demande de retourner dans sa froide chambre. Et elle obéit, le regard tourné vers le sol dont elle ne voit plus les couleurs réelles. Tout est gris sauf ses chiffres blancs. Et il faudra moins de deux mois pour qu'on se débarasse de nouveau d'elle -et cette fois ci, chez ces fous elle ira tarir ses larmes acides. Elle peut bien crever, elle n'aurait sans doute pas droit aux funérailles. Et dans son coeur elle hait tous ceux qui l'entourent, et ceux qui l'entourent n'apparaissent que depuis qu'elle se cache dans l'établissement qui se chargera de sa rééducation.
De tout leur être, les parents de Mihi prient pour une enfant devenue normale après ce séjour en psychatrie. Mais c'est un adolescente en manque de vivre qu'on leur redonne, poupée abîmée aux idéaux colorés, au sourire incandescent, aux envies qui défient leur mode de vie. Et elle se défait de ces liens qui la colle sur terre pour tourner de nouveau son regard d'enfant vers ces étoiles qui la fascinaient tant.
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« mes lettres ... les lettres où sont mes lettres ... » elle fouille maladroitement, retourne chaque objet de sa chambre fraichement rangées, passe ses mains dans ses cheveux décolorés; elle cherche ses lettres depuis trop longtemps et se sent submergé par le stress. Elle va et vient, cherche aux mêmes endroits.
« maman mes lettres t'as vu mes lettres ? elles étaient juste ici. c'était personnel, important, très important. » le corps tremble entre les mains peu rassurées d'une matronne incapable de calmer les crises de son enfant, faute de l'avoir eue entre les mains assez souvent pour la comprendre.
« Mihi, tu m'as dit qu'on pouvait jeter tous ces papiers ... » dans un élan incontrôlé, Mihi saisit le visage de sa mère entre ses mains tremblantes de rage.
« c'est faux » elle ne hurle ni ne crie, se contente de dire les mots, de constater l'erreur faite.
« tu ne m'as rien demandé- et pourquoi tu entres dans ma chambre- tu pouvais pas prendre les lettres. tu prends toujours tout. ne touche pas à mes affaires. je te déteste. » ses gestes sont confus mais ses mots restent clairs malgré l'absence d'éloquence et c'est d'un pas hésitant que sa mère se retira. Lorsque les parents de Mihi ont perdu tout contrôle sur leur fille, elle venait tout juste de fêter ses 18 ans. Déception d'une famille aux enfants prodiges, elle déambulait dans les rues, incontrôlable.
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Les couleurs se fondent dans le noir de la nuit et ses yeux ne parviennent plus à voir au delà des visages. Elle ne reconnaît que les silhouettes sous la lumière trop brève qui s'accèlerent trop souvent. Entre ses mains on fait passer des trucs et d'autres. Elle ne sait plus qu'en faire. Les jette parfois sur le sol sans demander son reste. Puis dans le creux de sa main, celle de Nana qui s'échappe trop souvent -elle est perdue, sans Nana. Nana, c'est sa meilleure amie. Nana c'est celle qui lui dit toujours d'arrêter de penser à ses parents, à sa famille, à son passé de merde, à Sana dont elle lui parle trop souvent. Nana c'est un peu tout. C'est la main qui traîne où il faut pas, le regard méprisant ceux qui embêtent Mihi, c'est la force qui traîne Mihi hors des foules puis dans de nouvelles foules, celle qui la traîne vers des expériences, celle qui la traîne vers la sécurité. Puis c'est aussi cette main qui se dérobe de plus en plus souvent sans que Mihi comprenne trop pourquoi. Alors Mihi elle cherche d'autres mains pour se hisser vers la surface mais personne n'a vraiment la force pour une fille pareille -franchement, tu l'as vue se perdre dans ses propres mots? Et puis tourner sur elle même en riant. Et puis gueuler trop fort quand il faut pas. Et puis s'attacher trop vite à ceux qu'il faut pas. Gamine naive sans cervelle. m o n g o l e.
« nana t'es où j'ai peur »