L'énergie d'une pile électrique circule dans tes veines dans un cycle continue qui laisse croire que tu ne dors pas. Tu n'es pas un fanatique de t'étendre sur un matelas pendant plusieurs heures : cela te donne l'impression de perdre ton temps. Tu fais partie de ces gens insatiables, toujours en quête de plus. Plus d'actions, plus de fêtes, plus de sensations fortes. Plus de possessions, plus de livres que tu ne lis pas, plus de montres que tu ne portes pas, plus de bagues que tu ne peux en mettre. Matérialiste est le terme employé pour te décrire avec précision, incapable de nier cette réalité qui t'accable. Avide de reconnaissance, mais pas celle de ton père que tu écartes de ton quotidien tout en continuant de vivre sous son toit davantage par habitude qu'autre chose - de toute façon, il n'y est jamais. Créature nocturne incapable de fermer l’œil la nuit, l'appel de l'alcool te tire jusque dans les endroits les plus reculés de la ville sans que tu ne puisses y résister. Impassible aux émotions d'autrui, tu parais détaché de la réalité, incapable de faire preuve d'empathie pour ceux qui connaissent la vie sous un angle moins généreux que tu ne l'as connu. Tu n'en as que faire des problèmes des autres, faisant à peine l'effort de feindre une once d'intérêt lorsque ça ne concerne pas tes proches amis. Orgueilleux et égoïste comme ton père, tu ne te préoccupes que de toi, que de tes intérêts et de ce qui peut t'aider à progresser dans ce monde chaotique. Bruyant et fier, tu marches la tête haute comme le fait ta mère sans te soucier de l'opinion des autres, puisque de toute façon ils ne t'arrivent pas à la cheville. Tu vis dans ta bulle, sur ton piédestal que l'on a tenté de détruire à maintes reprises sans que tu ne te fatigues de le reconstruire. Si la vie est parvenue à t'enseigner une seule chose, c'est que personne ne te lancera de fleurs, alors tu dois t'en charger de peur de sombrer.

Ton père fit une folie et c'est ainsi que tout commença. Plutôt que de rester dans son pays natal pour étudier, il décida d'aller dans une université américaine et c'est là-bas qu'il rencontra ta mère : une femme magnifique aux traits mélangés entre le nord et le sud d'un même long bout de terre flottant sur différents océans. Il tomba sous son charme sans lutter, hypnotisé par la beauté ravageuse de cette femme aux cheveux couleur charbon et à la peau teintée par le soleil à l'année longue. Ses yeux qui feraient pâlir la mer le captura, les liant tous les deux pour une histoire d'amour qui dura presque vingt ans. Ils finirent l'université avant de se marier, ton père devenu dentiste et ta mère virologiste. Peu de temps après le mariage qui avait tout du profil américain dans sa grandeur, ta mère tomba enceinte et la vie de famille se tailla un nid dans ce foyer mixte.

Les traits de ta mère sont peu présents sur ta personne si ce n'est que tu bronzes aisément, sinon tu tiens tout de ton père et de tes origines coréennes. Tu aurais aimé tenir plus de particularités exotiques puisque cela t'aurais peut-être éviter de te faire traiter de chinois plus de deux cent fois par année ainsi que de te faire demander si tu étais doué en mathématique. L'ignorance américaine n'est pas un mythe, tu l'as vécu et tu as survécu en ne te laissant pas marcher sur les pieds. Tu n'étais qu'un enfant que tu avais la réplique facile, sachant quoi dire avec un ton sec bien choisi. Il était hors de question que tu te laisses étiqueter sans rien dire. À la maison, tu as vu la relation entre tes parents dépérir avec les années. Au début, ils sortaient souvent ensemble, se démontraient de l'affection tous les jours. Puis, avec les années, ils se sont distancés tranquillement, ton père clamant ne plus avoir le temps pour emmener ta mère dans les meilleurs restaurants comme il faisait autrefois. Tu as vu ta mère perdre patience, s'impatienter devant le détachement de ton père qui s'enfonçait de plus en plus dans son métier.  

Les querelles de tes parents ne t'étaient pas incompréhensibles puisqu'ils avaient fait l'erreur de t'apprendre à parler chaque langue connu sous leur toi. Qu'ils utilisent l'anglais, le coréen, l'anglais ou l'espagnol, tu parvenais à comprendre à quel point ta mère était exaspérée par le détachement de ton père. À quel point elle en avait marre de passer au second plan, de ne plus être aussi importante qu'autrefois. Ton père répétait toujours la même chose : qu'elle en faisait une montagne pour rien. Il la traitait d'hystérique, elle le traitait d'égoïste insolant. La maison était vaste, mais pas assez pour la voix en colère d'une femme à la fois mexicaine et canadienne. Pourtant, le monde extérieur les prenaient comme un exemple à suivre du petit couple tranquille avec un seul enfant. Le modèle typique d'une famille moderne.

Si tu n'étais pas le centre d'attention chez toi, tu remplissais ce vide à l'école. À la fois partout et connu de tout le monde pour diverses raisons, tu fis scandale au sein des élèves du haut de tes quinze ans après avoir annoncé sans honte ta relation amoureuse avec un autre adolescent. Ainsi, ta première expérience de couple se déroula avec une personne de même sexe, aux États-Unis. Pas la meilleure de tes idées, sauf que tu ne t'es pas laissé impressionner par les commentaires mordants qui se sont mis à couler. Au contraire, tu t'es bien amusé à remettre quelques esprits fermés à leur place. C'est lui qui décida de rompre après quelques mois, clamant que tu en faisais trop, que tu n'essayais pas assez de te fondre dans le décor et d'éviter d'attirer l'attention. Au moins, c'était peut-être mieux comme ça puisque la séparation aurait été inévitable.

Tes parents ont divorcés, violemment. La mère de ton père était tombée malade et ton père avait pour projet de retourner dans son pays afin de s'occuper d'elle. Ta mère l'a très mal pris que de le voir capable de tout quitter sans y réfléchir à deux fois. Ils se sont engueulés une dernière fois avant qu'elle ne fasse ses valises et quitte la maison en claquant la porte avec une force insoupçonnée chez une femme avec un tour de taille aussi frêle. Ils sont allés en justice pour faire la séparation, régler qui aurait ta garde, ce qui allait advenir de la maison, de tout. Ta mère gagna tout, sauf toi. Pour une raison qui t'échappe, elle ne réussi pas à obtenir ta garde complète et tu te retrouvas le derrière posé dans un avion une semaine plus tard avec un billet d'aller simple vers la Corée du Sud. N'ayant jamais été proche de tes parents, ça ne t'as pas bouleversé, rien de tout ça ne te dérangeait. Certes, la rupture avec tes amis fut lourde, mais comme toujours tu t'es remis de tes émotions.

Le prix de consolation a été que tu parlais déjà coréen, alors tu n'as pas eu besoin d'apprendre une langue sur le tas en l'espace de quelques semaines. Toutefois, t'acclimater avec la culture fut une chose totalement différente et avec laquelle tu es souvent distant. Ton père chercha à se racheter, t'offrant tout ce que tu pouvais désirer et tu n'as pas hésité à saisir cette opportunité après l'obtention de ton permis de conduire pour réclamer ton bébé à quatre roues qu'est Eris. Quant à ta grand-mère, elle est vivante et en parfaite santé : une longue histoire inventée de toute pièce par ton père pour revenir chez lui et divorcer de ta mère avec qui tu gardes un contact assez basique.